Solitude
Une curiosité nouvelle me décida ce matin, encore englouti par les vagues du sommeil, plutôt que de me hisser vers l'éveil, à descendre au fond de ma poitrine ausculter ma solitude. Je découvris une palpitation froide, un malaise rauque, une trépidation tenace, une respiration qui souffrait de soulever son poids. Triste de ce constat, je basculai vers l'éveil; j'aspirai l'air frais, la mousse des rayons, les bruits. Je passai ma journée coutumièrement, m'étourdissant de la ruche des gestes et des paroles, opposant à l'action dissolvante des rythmes l'inertie du vécu. Je me figurais jusqu'ici que le travail de vivre trouvait sa récompense dans un affermissement du cœur et un éclaircissement de la conscience. J'étais aujourd'hui navré d'une lucidité nouvelle. Je réalisai qu'il y a dans la solitude un battement voilé, impuissant à s'épandre dans le déploiement du jour, sinon dans le feuillage de la peur. L'homme seul transporte une tâche attendant le rayon qui la fera fleur. L'index qui figera mon mal, la main qui épongera mon cœur, ne viendra pas.
Tony Truand
Gratuité
P'tit dej
Le bol
Digère la nuit
Baille au matin
Effeuille les lèvres du soleil
Caillées sur sa marge.
La lumière captive de son orbe
Bave un liseré sur la nappe.
Stable,
Il cloue la table,
Contient l'essor du jour
Et l'expansion du ciel
En équilibre
Sur l'aiguille du présent.
C'est un diamant.
Indignation 2005
Les jeunes sont complètement fous ! Ils sont en train de rater leur révolution ! Sont-ils en train de brûler les cités pour protester contre leur relégation en lisière des villes, ou contre l’incroyable disparité de la répartition des richesses, ou contre le colossal mépris des dirigeants à leur endroit, ou contre la mainmise des marchés sur les besoins élémentaires que sont la nourriture, l’eau et le logement ? NON. Du moins, ce n’est pas dit. Or le simple fait que leurs agissements ne soient pas accompagnés de requêtes, ôte toute recevabilité à leur colère. Peu s’en faudrait pourtant pour que leurs actes se dotent d’une signification politique opportune. Qu’ils aillent à Neuilly brûler les voitures des racailles qui gagnent 30.000 euros par mois sur le dos du pays, ou que, symboliquement, ils pendent un notaire avec ses tripes avec un bail de HLM dans le cul, voilà qui doublerait les déprédations de signaux autrement plus dérangeants pour l’Etat, voilà qui changerait leur émeute en révolution, voilà qui serait historique. Mais ils s’en foutent. Ils préfèrent mettre leurs propres quartiers à feu et à sang, ces petits cons.
Tony Truand 2005
Il est 8 heures
(Ce texte est avant tout un exercice. Merci à ceux qui m'ont permis de le peaufiner. Je recevrais avec gratitude l'avis des lecteurs éventuels. Et puis ça me permettrait de vérifier qu'ils existent. C'est quand même aussi un peu pour eux que je me casse le cul.)
Matin balbutiant de lumière tremblée
La rue bruisse de pas saccadés
Le fumet du café pénètre mes narines
Et réveille un souvenir
Ma chambre d'enfant
Je la revois
Ses murs beiges
Un rayon indécis traversait le volet
Le café chauffait dans la cuisine
L'éternité contamine cet instant
Dilaté dans l'arôme brûlant du café
Aux saveurs de l'enfance
Je m'étonne d'être vivant
La vie est si fuyante
Il m'appartient pourtant
Ce moment indiciblement vécu
Déplié dans l'ambiance d'un matin neuf
Gros des promesses de tous les possibles
Tony Truand
Jets (écrits à toute vitesse)
............................................................
.......................................;
Toi
Mémoire fanée
Qu'effeuille le vent
D'une ombre indiscrète
Qui sait où s'éteint
La sève enflammée
Où commence l'encre jaunie
Le poulpe de l'amour bat encore sur ta tempe
Où bien est ce le temps qui balbutie
Le fiévreux remord de ta lèvre sanguine
Ou bien est-ce le spasme
D'une rose calcinée
Qui ressemble à ta blessure
Est-ce une araignée que je pris pour ton étoile
L'arbre de ma mémoire a plongé dans ton sang ses racines
Le temps fera givre les étoiles plaintives
...........................................
Tu arpentes le soir fatiguée de la fête
Le long des vieux rivages et je marche avec toi
J'essuie sur ton front ocellé les paillettes
Des amours effacées du souffle d'un émoi
Tu sens crépiter dans ton cou les orages
Sous l'essaim frissonnant des baisers en tornade
Tu te noies sous l'émoi submergeant ton corsage
Et des flammes de joie lèchent ton corps nomade
Tu lances dans la pluie l'ogive de tes doigts
Eclabousser mon sang du feu de tes caresses
J'écoute dans le vent le violon de ta voix
Haleter sous l'archet d'une vibrante liesse
Tes caresses s'effeuillent automne de mon corps
Tu incantes l'amour dans de profonds refrains
Qui coule sur tes doigts forgeronne aux mains d'or
Et mon corps s'est brisé à l'essieu de tes reins
..........................;
Nous nageons sous les draps
Où nos corps s'imaginent
Et l'épi de tes bras
Caresse ma poitrine
Nous enlaçons les signes
Qui enchantent nos corps
Tu embrasses la vigne
Noueuse de mon corps
J'entends la joie mourir
En vagues sur ta lèvre
Dans le creux des soupirs
Je sens battre ta fièvre
Tu es le spasme du vent dans la voile
Tu es la mer salivante d'écume
Tu es le ciel infusé d'étoiles
Tu es la nuit qui s'allume
Nos chairs torsadées tressent
D'ascendantes voluptés
Leurs flammes assoiffées lèchent
Le sel des peaux de thé
Nous tissons les duvets
Fourmillant de tendresses
Ta peau poivrée revêt
Mes humides caresses
Tes membres écartelés
Sur la roue du plaisir
Semblent une fleur grêlée
De la pluie des soupirs
Nous trinquons les calices
De sucs étourdissants
Nous suçons les délices
Inassouvis du sang
Que crève le plafond
De nos cieux de faïence
Et que ton cri de faon
Dechire le silence
Le soir verse son vin
Sur nos flancs épanouis
Et nos corps écrivains
Sombrent aux rêves évanouis
..................................
.................
Entends-tu, mon aimée
Sur la portée du vent
Tombant de la ramée
La musique rêvant
Dans les ombres charmées ?
Tes yeux dansent, enflammés
D'un désir si fervent...
Et nos corps abîmés
L'un dans l'autre rêvant
S'aiment sous la ramée
C'est bon, d'être vivant
..................
Je l'enlacerai
Elle s'en lassera
Elle me quittera
Je l'acquitterai
Elle me maudira
Je ne dirai mots
Je l'aimerai
Elle sèmera
Je l'embrasserai
Elle s'embrasera
Poème kleenex (à jeter après usage)
Buvons le champagne de la nuit Pétillante d'étoiles Que danse dans nos veines Tressées sur le souffle du temps L'ivresse souveraine Que fleurisse le lierre du sang Du levain de la joie La lune bouchon est restée au plafond ! Tony Truand |
Souvenir musical
HOMMAGE A FRANCIS CABREL
Aussi loin que je cherche, je ne me souviens pas d'avoir vécu une expérience musicale plus poignante que lors du concert qui eut lieu à Millau à l'occasion de la sortie de prison de José Bové. L'estrade en bois avait été élevée au milieu d'un désert vallonné, sauvagement, et la terre froncée à l'entour semblait se plier au jeu d'étranges vibrations. Bertrand Cantat entama les réjouissances avec un enthousiasme d'autant plus effréné qu'il ignorait absolument que peu de temps après il se retrouverait en taule à Vilnius et Bové à Villeneuve les Maguelones (pffrt!). Sa musique généreuse déferlait sur la plaine, nous roulions dans une houle survoltée, les vallons répercutaient les sons comme des baffles à l'horizon. Le concert s'enfonçait dans la nuit, et nous finîmes tard, harassés, trempés, naufragés, stupides. Le second intervenant se présenta ensuite sur la scène, salua, puis entama son répertoire. Francis Cabrel. "Je l'aime à mourir je l'aime à mourir la la la...". Pas le même genre. C'est alors qu'une forme apparut dans le ciel béant. Un poulpe phosphorescent emplit l'espace de sa présence démesurée, abomination cosmique, horreur vertigineuse! Le monstre énorme ondoyait de spasmes, roulait des flammes dans ses orbites abyssales, étalait souplement en travers du ciel son envergure immense. Elançant ses tentacules dans l'infini, il accrochait les étoiles et les jetait à bas. Je ne saurais dire si les événements que je vais relater maintenant sont réels ou bien s'ils sont le souvenir ou plutôt l'empreinte d'hallucinations conçues dans la fièvre suscitée par la frayeur délirante qui me submergea, j'aimerais vous y voir! Quoi qu'il en soit et quel que soit le plan de réalité où s'inscrit ce qui va suivre, je me souviens que l'immonde bête tourna vers la terre sa face odieuse, puis ouvrit un large bec, qui couvrait de son empan trois ou quatre constellations, révélant une bouche effroyable d'où sortit une parole qui ébranla l'univers:
TA....GUEULE...CABRRREL...
Je crois savoir que depuis ce jour Francis s'est mis au poker, déployant une habileté telle que des joueurs de métier confondus par son aisance ont pu dire qu'il s'était découvert une vocation, m'a-t-on dit. Que Zeus me foudroie si j'ai dévoyé un seul mot de mon récit de la pure vé
Tony Truand
Vieux poèmes recyclés
LA BALLADE DU SDF
Je suis mon ombre en chien fidèle
Elle décide où nous irons
Et je m’efface à côté d’elle
Et je me couche en son giron
Cette foule où je me promène
Endigue mon cœur maladroit
Je marche sur les rires amènes
Des enfants nés pour être roi
Pendant vos fêtes nationales
Je me branle au son des trompettes
Quand la Raison et la Morale
Sodomisent comme des bêtes
*
Quand la soirée se travestit
A la brune pour une danse
Faisant voler sa robe nuit
Sur le pavé avec cadence
Mon oeil taciturne s’éclaire
Et je me mêle dans la danse
Sous l’œil jaloux des réverbères
Qui vilipendent ma démence
Pourquoi faut-il qu’on ne retienne
L’ivresse trouble de la nuit
Et la lune trop cartésienne
Tourne le dos à ma folie
*
Quand viendra l’heure magnanime
Où mon âme s’échappera
Emportée par dessus les cimes
Par des gypaètes angoras
Je veux que mon corps de vermine
Exhale un parfum d’encensoir
Que vous le mettiez en vitrine
J’étais Jésus venu vous voir.
2004
CRESCENDO
Dégringolant d'un lustre
Une pluie de baisers
Baise ce cul illustre
Ces doigts magnétisés
Aux faunes des balustres
Du lit fleurdelysé:
Je bande comme un rustre!
Mon mal a infusé
Dans vos grands yeux lacustres
Nous irons l'apaiser
Dans cette eau où se lustre
Un animal frisé.
2006
PROMENADE
Je m'en vais sans départ sans bruit et sans raison
Dans la lande esseulée loin des siècles moroses
Donner mes jambes nues aux baisers des ajoncs
Là où rien ne conspire au sacrement des choses
La plaine est sans issue et l'horizon sans fond
Dans l'herbe geôlière mes pas serpents repoussent
Les ombres bruissantes cauchemars vagabonds
Peuplant les ruines rases et la folle herbe rousse
La bise ondoyante rapporte la clameur
qui monte de la ville et se mêle aux rumeurs
De ceux qui languissent sous l'herbe close et drue
Ô Précieux défunts vous gardez nos victoires
Jusqu'au fronton des rues où revient ma mémoire
La nuit clôt son couvercle et je n'existe plus
2002
TONY TRUAND